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dimanche, 02 décembre 2007

A une heure du matin

Enfin! seul! On n'entend plus que le roulement de quelques fiacres attardés et éreintés. Pendant quelques heures, nous posséderons le silence, sinon le repos. Enfin! la tyrannie de la face humaine a disparu, et je ne souffrirai plus que par moi-même.
   Enfin! il m'est donc permis de me délasser dans un bain de ténèbres! D'abord, un double tour à la serrure. Il me semble que ce tour de clef augmentera ma solitude et fortifiera les barricades qui me séparent actuellement du monde.
   Horrible vie! Horrible ville! Récapitulons la journée: avoir vu plusieurs hommes de lettres, dont l'un m'a demandé si l'on pouvait aller en Russie par voie de terre (il prenait sans doute la Russie pour une île); avoir disputé généreusement contre le directeur d'une revue, qui à chaque objection répondait: "- C'est ici le parti des honnêtes gens", ce qui implique que tous les autres journaux sont rédigés par des coquins; avoir salué une vingtaine de personnes, dont quinze me sont inconnues; avoir distribué des poignées de main dans la même proportion, et cela sans avoir pris la précaution d'acheter des gants; être monté pour tuer le temps, pendant une averse, chez une sauteuse qui m'a prié de lui dessiner un costume de Vénustre; avoir fait ma cour à un directeur de théâtre, qui m'a dit en me congédiant: "- Vous feriez peut-être bien de vous adresser à Z...; c'est le plus lourd, le plus sot et le plus célèbre de tous mes auteurs, avec lui vous pourriez peut-être aboutir à quelque chose. Voyez-le, et puis nous verrons"; m'être vanté (pourquoi?) de plusieurs vilaines actions que je n'ai jamais commises, et avoir lâchement nié quelques autres méfaits que j'ai accomplis avec joie, délit de fanfaronnade, crime de respect humain; avoir refusé à un ami un service facile, et donné une recommandation écrite à un parfait drôle; ouf! est-ce bien fini?
   Mécontent de tous et mécontent de moi, je voudrais bien me racheter et m'enorgueillir un peu dans le silence et la solitude de la nuit. Ames de ceux que j'ai aimés, âmes de ceux que j'ai chantés, fortifiez-moi, soutenez-moi, éloignez de moi le mensonge et les vapeurs corruptrices du monde, et vous, Seigneur mon Dieu! accordez-moi la grâce de produire quelques beaux vers qui me prouvent à moi-même que je ne suis pas le dernier des hommes, que je ne suis pas inférieur à ceux que je méprise!
Baudelaire
Le Spleen de Paris
J'ai toujours apprécié ce texte, j'y repensais ce matin et je me dis que c'est un superbe article de blog.

Commentaires

Très beau texte.
Dès les premières lignes j'étais emportée par les paroles.
Et quand j'ai vu à la fin de ton article que c'était un texte de Baudelaire eh bien, j'étais toute contente parceque j adooooore Baudelaire!
En plus en lisant ces quelques lignes, j'imaginais que le récit se passait de nos jours et c'est tout à fait plausible! Comme quoi certains textes depassent les années.

Écrit par : Lya | dimanche, 02 décembre 2007

Jolie texte qui m'a tout de suite absorbé.
En tout cas merci de l'avoir partager avec nous.

Écrit par : LeGiant | dimanche, 02 décembre 2007

Dis donc, je me suis dit un coup que Camille la it girl en plus d'etre sacrément it, elle était sacrément poetesse! Bon, t'écris toujorus bien, hein, entendeons nous, mais là, y'avait comme un gout de.... Ben de supreme! J'adore Baudelaire, ceci essplique donc cela!
C'est superbe, en tout cas!

Écrit par : Camille | dimanche, 02 décembre 2007

Qu'est-ce qu'il écrivait bien, le sieur Baudelaire...
J'en reste pantoise !

Écrit par : Céline | dimanche, 02 décembre 2007

J'aime beaucoup....

Écrit par : Aelys | dimanche, 02 décembre 2007

C'est l'un des plus beaux ouvrages de la planète...
J'aime aussi la phrase "les nuages, ces merveilleux nuages...."...
Merci Camille !
Bisouillasses.
:)

Écrit par : Sonia, MISS BLOG 2007 | dimanche, 02 décembre 2007

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